samedi 14 juillet 2007

Entretien avec un préposé aux bénéficiaires anarchiste

Depuis quelques semaines, c'est la mobilisation générale dans les syndicats, plus particulièrement dans ceux du réseau de la santé et des services sociaux. Si, comme d'habitude, les directions syndicales "communiquent" beaucoup, on entend rarement parler de comment ça se passe à la base, dans les établissements. Nous avons rencontré Éric Maltais*, un militant de la NEFAC qui travaille comme préposé aux bénéficiaires dans un des hôpitaux syndiqués au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP, affilié à la FTQ) pour essayer de prendre le poul du mouvement. Nous publions aujourd'hui la deuxième partie de cet entretien, portant sur la mobilisation syndicale dans son hôpital.

la mobilisation syndicale dans un gros hôpital du Québec



La culture syndicale locale

Comme dans tous les secteurs, la mobilisation syndicale part de loin dans l'hôpital d'Éric. "Faut pas se leurrer, explique Éric, en dehors des périodes de négociations les gens ne s'intéressent pas vraiment aux affaires syndicales." Il illustre son point en rappelant qu'il n'y avait que 3 personnes à l'exécutif il y a six mois et que les deux premiers avaient dû faire des pieds et des mains pour convaincre le troisième de ne pas partir. Lui même n'était pas plus impliqué que ça dans son syndicat: "je passais une fois de temps en temps pour ramasser des tracts et des journaux, j'allais à quelques réunions, mais c'est tout."

La situation change pas mal depuis un mois. "Le 24 novembre on a eu une assemblée d'information, raconte Éric, d'habitude y'a personne dans ses affaires là, mais là on était 250. 250 sur 1100 membres, c'est assez exceptionnel." "Depuis l'assemblée, il y au moins 100 personnes qui passent par jour au local pour prendre de l'info, ramasser un t-shirt anti-libéral [c'est l'un des moyens de pression], déposer des griefs, explique Éric, il y a même un comité de mobilisation regroupant du monde de la base qui s'est mit sur pied!"

"La culture du syndicat me met souvent mal à l'aise, dit Éric, tout a tendance à passer par le président du local, peut-être parce que les gens ne sont pas sûrs d'eux, mais quand même..." La structure semble assez hiérarchique: "On n'a pas beaucoup de prise sur les grandes stratégies du SCFP et de la FTQ, je me sens tout petit là-dedans" dit-il. Pour lui, c'est une culture ouvrière institutionalisée, qui carbure au fric et à la libération syndicale (c'est-à-dire des salariéEs qui sont "libéréEs" et payéEs par le boss pour donner du temps au syndicat). "Avant l'assemblée, je leur ai proposé de faire de la job de bras, de m'impliquer pis ils m'ont libéré!, raconte Éric, leur idée, c'est que si tu fais de quoi pour le syndicat, il faut que tu sois payé... Je pense que ça nuit à l'implication spontanée des gens et qu'il faut casser ça, mais ils sont pas habitués de fonctionner autrement." Éric raconte qu'il a fallu qu'il s'obstine pour venir donner un coup de main au local syndical pendant son congé réglementaire: "ils me disaient 'mais on pourra pas te libérer' et je leur disais 'je veux pas que vous me libériez, je veux m'impliquer'". "C'est des choses qui peuvent se changer avec le temps si les gens s'impliquent concrètement, nuance Éric, mais pour l'instant, disons que ça heurte mes convictions libertaires."

Les fameux gros-bras

Malgré l'impact désastreux de la couverture médiatique des actions de la FTQ, les gens s'impliquent quand même. "La couverture médiatique, c'est de la marde, estime Éric, les gens lisent les journaux de Quebecor, qui sont pro-sous-traitance et anti-syndical, et nous, après, il faut tout démonter ça, c'est ça le plus dur." Les grands titres sur les "saccages" de bureaux de députés, sur les "matamores" et les "gros-bras" nuisent à la cause. "On est un syndicat local à forte majorité féminine, je ne sais jusqu'à quel point ça joue, raconte Éric, mais les gens veulent des actions clean, ils ont peur du 'saccage' et des 'gros bras'. Dans mon hôpital, il y a une tradition, peut-être que le monde est plus 'mou', mais c'est du monde ordinaire qui veut que ça paraisse bien, ils ne veulent pas laisser une place avec plein de stickers collés partout."

Si les médias beurrent épais et se scandalisent de pas grand chose, il y a quand même un fond de vérité. "La FTQ et le SCFP sont des organisations ouvrières et il y a effectivement des gros bras, explique Éric, chez nous il n'y a pas ben ben de gros-bras mais c'est pas de même partout." Jeudi dernier il y avait une action SCFP impliquant tant les cols-bleu que les gens de l'hôpital. Des syndiquéEs ont littéralement assiégé un bureau du Ministère du Travail et interdit à quiconque d'entrer pendant 2 ou 3 heures le matin. "Mettons que c'était plutôt 'viril' comme action, raconte Éric, il y a un support stratégique et logistique de la centrale pour ce genre d'action, en l'occurence 4 gros-bras qui se sont 'occupés' des gardiens de sécurité." "Ça fait tout drôle de les avoir de notre côté pour une fois" s'exclame-il.

Le lendemain, par contre, pour une action en face de l'hôpital, les gros-bras avaient disparu. Entre 250 et 300 personnes ont participé à la ligne de piquetage pour diffuser de l'information aux automobilistes. "Après le piquetage, il y a du monde qui en voulait encore, dit Éric, alors on a décidé spontanément d'aller occuper le bureau des ressources humaines." En se promenant dans l'hôpital, les syndiquéEs se sont ramassés 120 pour occuper les bureaux. Comme par hasard, c'est cette action-là qui est passée dans les médias par la suite...

"Je ne pense pas qu'il y a un dépassement par la base en ce moment, dit Éric, mais il y a une réappropriation du syndicat par les gens et ça, c'est excellent, la démocratie vient de là." D'après Éric, il y a un potentiel de radicalisation mais "pour l'instant on est mieux de mettre nos énergies dans une mobilisation de masse que dans des petites actions plus radicales". La prochaine étape est la journée de perturbation du 11 décembre, auquel le SCFP va participer même si c'est la CSN qui invite.

Vers la grève?

D'après Éric, les gens gardent espoir que le gouvernement va reculer sur des points, que l'adoption des projets de loi va être reportée. Qu'est-ce qui se passe si ça ne marche pas? "J'aime mieux ne pas y penser, conclut Éric, c'est le pire milieu pour faire la grève, demain matin tous les employéEs de soutien sortent en même temps et c'est la mort, ça va chier, ils auront jamais assez d'infirmières pour tous nous remplacer". Pour Éric, "c'est le dilemme entre la lutte de classes et l'humanisme, même faire un ralentissement de cadence, ça ne se peut pas. Juste si j'arrête de courir, je vais mettre la vie de patients en danger." Pour lui, le personnel de la santé est condamné aux actions directes et aux coups d'éclat. "Je me sentirais cent fois mieux de brûler le département des ressources humaines avec les cadres dedans que de laisser mon unité sans préposé parce qu'on est en grève dure" conclut-il. Tout simplement parce que même avec la plus pourrie des organisations du travail, un hôpital ça ne sera jamais une usine et que la santé n'est pas une marchandise...

*Il s'agit d'un pseudonyme qui ne trompera sans doute personne connaissant la NEFAC, sauf, espérons-le, les patrons "d'Éric" et éventuellement les flics.



(publié pour la première fois en décembre 2003 sur le site de la NEFAC)

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