jeudi 15 mai 2008

Il y a 40 ans…


1968 : Le printemps et l’automne autogestionnaires de Prague


Si le printemps de Prague qui secoua le bloc soviétique en 1968 reste dans les mémoires comme un processus de « libéralisation » initié par Alexander Dubcek, nouveau secrétaire du Parti communiste de Tchécoslovaquie (PCT), on oublie souvent qu’il s’agit aussi d’un mouvement populaire qui ne se limite pas aux quelques mois du printemps 1968.


Depuis la révolution d’Octobre, les tentatives de conseils ouvriers apparaissent chaque fois lorsque la classe ouvrière doit prendre en mains sa propre existence, en quelque sorte par défaut, par absence ou écroulement du pouvoir précédent : en Russie entre en 1917 et 1918, en Espagne d’une toute autre manière et surtout dans le monde paysan en 1936-37, puis en Tchécoslovaquie avec les « biens vacants » entre 1945 et 1948, sans oublier l’autogestion yougoslave dès juin 1948 (plutôt une cogestion avec l’Etat) et les conseils polonais et surtout hongrois de 1956. Les propriétaires allemands et autres collaborateurs enfuis, l’État et la bureaucratie n’étant pas encore reconstruits, la vie doit continuer. À chaque fois, dans ces moments de vacance du pouvoir, on voit la classe ouvrière prendre en main d’une façon directe la production.

En Tchécoslovaquie, le mouvement qui démarre le 5 janvier 1968 est quelque peu plus complexe : il n’y a pas de destruction du Parti-État.

Réformer l’économie grâce aux conseils ouvriers


Les conseils de travailleurs furent d’abord une idée propagée par certains économistes de tendance managériste, pour lesquels il n’y avait pas de contradiction entre la superstructure bureaucratique, la réforme économique, réhabilitant les mécanismes financiers et de marché, et la participation ouvrière au niveau de l’entreprise. La Tchécoslovaquie connaît une crise entre 1961 et 1964.

Dès 1963, une réforme économique est tentée, visant à introduire des indicateurs objectifs et qualitatifs dans l’économie : déconcentration de l’économie, autonomie plus grande accordée aux chefs d’entreprise, dynamisation de l’économie par le marché des biens de consommation et l’ouverture au marché mondial. Très vite, la réforme se bloque du fait des résistances à l’intérieur de l’élite dirigeante et de l’impossibilité de contrôler par directives une structure déconcentrée.

Alors on songe à la participation ouvrière [1]. En effet, comment réformer d’en haut sans trouver de relais à la base, comment aussi contourner l’obstacle des élites incapables qui bloquent le processus ? Dès l’été 1966, après le XIIIe congrès du Parti, une commission d’État pour la Gestion et l’Organisation se met en place. Elle prévoit un système de codécision dans les entreprises, organisé autour d’un Conseil composé d’un tiers de travailleurs élus, d’un tiers d’experts venus de l’extérieur et d’un tiers de représentants du fondateur, à savoir l’État. Il ne s’agit ni de remettre en cause la notion de propriété d’État, ni d’accorder un droit de gestion aux ouvriers. Cependant ce projet, qui n’a pu être rendu public qu’en avril 1968, alimentera la réflexion des travailleurs lors de la fondation des premiers Conseils ouvriers en juin 1968.
Le printemps 1968

En avril, le gouvernement adopte un Programme d’Action qui prévoit l’autogestion de la propriété sociale (et non plus étatique), mais sans en fixer les formes, comme un simple adjuvant de la réforme : les conseils élus garantiront la compétence de la gestion. Jusqu’en août 1968, l’économie est délaissée, la politique reste un lieu d’action privilégié : l’appel à l’opinion publique, frustrée depuis des décennies, concrétisé par la liquidation officielle de la censure, met au premier plan les questions de libertés civiques et la démocratisation.

Malgré le flot de résolutions qui montent des organisations de base des syndicats et des sections d’entreprise du PCT, les dubcekiens et les intellectuels doivent forcer la main à la centrale syndicale unique, le ROH. Dès le 15 mai, des commissions se réunissent pour préparer une « loi sur l’entreprise socialiste ». À ce moment, des grèves commencent à éclater contre l’incompétence des dirigeants d’entreprise. Des fédérations syndicales de métier, des nouveaux syndicats et des unions horizontales de syndicats se créent partout. Dès le début juin, quelques Conseils ouvriers se mettent en place dans les Billancourt tchécoslovaques : CKD-Prague et Skoda Plzen.

Ce sont les organisations d’entreprise des syndicats et du Parti qui mettent en place les conseils, ce sont leurs militants qui, très largement se font élire aux conseils, à bulletins secrets. Les conseils d’entreprise (terme finalement retenu par le PCT, de préférence à celui de conseils des travailleurs qui avait la faveur des conseils eux-mêmes et de la « gauche » politique) tchécoslovaques ne déborderont les limites de l’entreprise que beaucoup plus tard et seulement partiellement.

Mais dès juin 1968, le gouvernement doit élargir les compétences des Conseils à la nomination du directeur, aux questions du personnel et des statuts de l’entreprise. Cependant, il ne prévoit pas que les Conseils décident en dernier ressort en matière de choix économiques, ni n’attribuent de pouvoirs à l’Assemblée des Travailleurs. Les Conseils, quant à eux, iront plus loin dans leurs propres statuts.

Mais la mise en place massive de ces conseils ne viendra qu’un peu plus tard : le printemps ouvrier ne commence finalement qu’à l’automne.

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